Pascal Bornet fait figure d’expert et de pionnier de l’automatisation intelligente (ou « IA » pour « intelligent automation »). C’est à lui que les entreprises Mckinsey & Company et Ernst & Young (EY) doivent leurs processus d’automatisation. Des entreprises où ses connaissances ont permis de mener des centaines d’entreprises à passer à l’IA, tous secteurs confondus. Il est également un membre éminent du Conseil technologique de Forbes et a été reconnu comme l’un des plus grands représentants du secteur technologique mondial en 2019.
Qu’est-ce que l’intelligence automatique ? Comment la définiriez-vous ?
L’automatisation intelligente est l’une des tendances les plus récentes et les plus déterminantes du vaste domaine que constitue l’intelligence artificielle. Dans notre dernier ouvrage, intitulé « Automatisation intelligente » (« Intelligent Automation »), mes coauteurs Ian Barkin et Jochen Wirtz définissent l’automatisation intelligente (également appelée « hyperautomatisation » ou « automatisation cognitive ») comme une association de techniques et de technologies impliquant l’être humain, des entreprises, l’apprentissage automatique, des plateformes low-code, l’automatisation robotisée des processus et bien plus encore. Son objectif ? Automatiser les processus business de bout en bout dans un environnement informatisé. L’automatisation intelligente vise à fournir des résultats commerciaux au service des collaborateurs d’une entreprise. C’est une solution tout à fait complémentaire aux membres d’une entreprise visant à proposer des services de meilleure qualité plus rapidement et au meilleur prix afin de renforcer considérablement les expériences client et collaborateur d’une société.
Elle permet notamment d’automatiser la majorité des processus de travail P2P : de la sélection des distributeurs (à l’aide de l’apprentissage automatique) au paiement de ces distributeurs (grâce à l’automatisation robotisée des processus) en passant par l’envoi des commandes (en optimisant les plateformes de flux de travail), la réception et la gestion de leurs factures (grâce à la gestion du langage naturel).
Quel rôle peut jouer l’automatisation intelligente dans l’industrie 4.0 ?
L’automatisation intelligente est au cœur de cette industrie. Si l’industrie 4.0 englobe toutes les formes d’automatisation, qu’elles soient basées sur le matériel ou l’information, l’automatisation intelligente se concentre sur l’automatisation basée sur l’information, que l’on appelle également l’« automatisation du travail de la connaissance ».
Elle vise à automatiser le travail effectué par les travailleurs de la connaissance, dont l’activité repose sur la gestion de la connaissance. Cette catégorie de travailleurs inclut notamment les programmeurs, les médecins, les pharmaciens, les architectes, les ingénieurs, les scientifiques, les designers, les experts-comptables, les avocats et bien d’autres professionnels dont le métier repose essentiellement sur l’emploi de « leur matière grise ». Contrairement au travail manuel, basé sur le matériel (comme on en retrouve essentiellement dans le secteur de la fabrication), le travail de la connaissance repose sur l’information et constitue l’activité de base du secteur des services. Bref, l’automatisation intelligente est un peu le pendant « col blanc » de l’automatisation industrielle « col bleu » qui a marqué le 19e siècle.
Dans notre ouvrage, nous avançons que le travail de la connaissance représente 80 % du travail total actuel. Face à ces chiffres, on comprend vite en quoi l’automatisation intelligente est susceptible d’avoir un impact majeur sur notre société, similaire à celui des révolutions industrielles que nous avons déjà connues.
Dans quels domaines et secteurs l’automatisation intelligente s’est-elle déjà révélée utile à l’heure actuelle ? Et quel impact a-t-elle exercé ?
L’automatisation intelligente a déjà eu des impacts commerciaux majeurs en faisant grimper la productivité commerciale de 20 à 60 % et la satisfaction client de 50 % tout en boostant l’expérience collaborateur en automatisant ou en libérant les travailleurs d’environ 60 % de leurs tâches routinières.
L’automatisation intelligente est tout simplement universelle. Elle peut bénéficier à toutes les fonctions et à tous les secteurs. Pour le prouver, nous avons rassemblé plus de 500 exemples d’emploi de l’automatisation intelligente, fournissant ainsi le plus long répertoire consacré à l’usage de cette technologie et disponible auprès du grand public. Cette liste couvre 8 métiers et 5 secteurs.
Si l’IA s’est essentiellement révélée utile dans le secteur des services (comme les entreprises bancaires, les assurances et les télécommunications), son application couvre tous les secteurs, étant donné que toutes les entreprises peuvent en bénéficier dans différents domaines liés à la gestion de leurs activités, comme leur service d’acquisitions, des finances ou des ressources humaines).
Quel est le degré d’adoption actuel des entreprises à l’automatisation intelligente ?
Un sondage récent nous révèle que 86 % des chefs d’entreprise internationaux interrogés considèrent que leur entreprise doit impérativement investir dans l’IA dans les cinq prochaines années pour rester compétitive sur leur marché. Grâce à ses caractéristiques exceptionnelles, nous considérons que l’automatisation intelligente devrait atteindre en cinq ans un degré d’adoption et de sophistication que l’automatisation industrielle aura mis 200 ans à connaître. Dans une étude, Deloitte indique que l’IA affiche déjà un taux d’adoption de plus de 50 %. On estime que ce taux devrait grimper à plus de 70 % au cours des deux prochaines années. À ce rythme, l’automatisation intelligente aura atteint un taux d’adoption proche de 100 % dans les cinq prochaines années.
Quels sont les plus grands défis posés par l’adoption de l’automatisation intelligente ?
Sans aucun doute, son application à grande échelle ! Tester un concept ou mettre en place un projet pilote n’a rien de bien compliqué. Mais appliquer un nouveau principe à différents services, métiers ou départements au sein d’une entreprise est nettement plus complexe. Si 50 % des entreprises se sont lancées dans l’automatisation intelligente (selon Deloitte), seuls 15 % d’entre elles sont parvenues à appliquer ses principes à plus de 3 catégories de métier ou services (selon McKinsey).
Comment les entreprises peuvent-elles effectivement appliquer l’IA à grande échelle ?
Notre expérience et nos recherches nous montrent que les entreprises qui sont parvenues à mettre en place ce système à grande échelle ont toutes appliqué 5 principes majeurs :
Elles ont d’abord respecté deux règles d’or :
- L’être humain doit être au centre de la transition vers l’IA. L’automatisation intelligente est mise en place par les gens, pour les gens. Sans être humain, il n’y a pas d’automatisation intelligente. Enlevez l’IA, vous aurez toujours des travailleurs.
- Commencez sur des bases saines et solides : l’assistance au management et l’encadrement, le développement des compétences et la gestion du changement.
Avant d’appliquer deux autres stratégies payantes :
- Troisième étape : associez les différents acteurs impliqués dans la mise en place de l’IA afin de créer des synergies et d’être en mesure d’automatiser des processus de bout en bout complexes.
- Faites en sorte que l’automatisation intelligente soit à la portée de tous en employant des technologies permettant à quiconque de concevoir des applications IA sans être un expert du domaine, comme des plateformes low-code. De quoi rendre l’automatisation automatique accessible à la majorité des utilisateurs. Ce travail de démocratisation donnera un coup d’accélérateur à votre transition vers l’IA, fera grimper le degré d’appropriation et d’adoption de l’automatisation intelligente et aidera votre entreprise à adopter une culture davantage tournée vers la numérisation et l’automatisation.
- Accélérez la mise en place de vos processus d’automatisation intelligente en optimisant vos technologies. Par exemple, la découverte des processus et le process mining, la découverte des données, l’AutoML et maintenance automatique.
Quelle influence a exercée la pandémie de Covid-19 sur le passage à l’automatisation intelligente ?
Jusqu’à cette année, l’automatisation intelligente constituait un outil compétitif, elle a permis aux entreprises de gagner des parts de marché en proposant des produits de meilleure qualité au meilleur prix.
Depuis l’apparition de la pandémie, l’IA est devenue une question de survie. En effet, la numérisation et l’automatisation sont indispensables à la survie des entreprises d’aujourd’hui. Les entreprises incapables de vendre leurs produits et services et de gérer leurs paiements en ligne ou encore de motiver leur personnel et de contrôler leurs opérations à distance avec un niveau minimum d’intervention humaine tiennent uniquement debout grâce aux aides financières de l’État.
Malgré toutes ses conséquences néfastes, la pandémie de coronavirus a permis de sensibiliser le monde à l’importance des processus de numérisation qui se cachent derrière les activités à distance, de les automatiser afin de réduire la nécessité de l’intervention humaine et de les améliorer.
Comment l’automatisation intelligente peut-elle améliorer l’expérience collaborateur ?
Une étude de Gallup a démontré que 85 % des travailleurs du globe ne s’épanouissent pas dans leur travail parce que leur activité est trop manuelle, répétitive et ennuyeuse. L’automatisation intelligente résout une bonne partie de ce problème en libérant les travailleurs de leurs tâches répétitives et transactionnelles (comme créer des factures dans un logiciel comptable). Résultat : ils ont plus de place dans leur agenda pour des tâches plus stimulantes et apportant une plus grande valeur ajoutée à l’entreprise (nécessitant par exemple plus de connaissances et de créativité). L’IA leur apporte également des outils nettement plus performants, comme des superpouvoirs qui les rendraient capables de tirer des conclusions pratiques de millions de données en quelques secondes à peine (comme un médecin qui identifierait une tumeur sur un scanner en un instant). Selon nos recherches, que nous avons condensées dans ce livre, l’IA pourrait fournir des outils performants capables de faciliter 30 % du champ d’activité des travailleurs et automatiser ou tout simplement en faire disparaître 70 % (par exemple, des réunions ou des e-mails inutiles).
L’automatisation peut-elle également améliorer l’expérience client ?
Les entreprises doivent avant tout susciter la confiance du client, le satisfaire et le fidéliser. 96 % des clients insatisfaits ne prennent pas la peine de se plaindre auprès d’une société. 91 % d’entre eux se contenteront de vous quitter et de ne jamais revenir. L’IA vous permet de concevoir des produits innovants et personnalisés, mais aussi des services client réactifs, omnicanaux et disponibles 24/7. D’expérience, je sais que l’automatisation intelligente permet aux entreprises de faire grimper leur satisfaction client de plus de 50 % tout en réduisant la charge de travail de leur call center de plus de 50 %.
Dans votre livre, vous écrivez que l’automatisation intelligente peut sauver des vies. Comment ?
L’IA est capable de sauver des millions de vie chaque année en se mettant au service des essais cliniques et de l’établissement de diagnostics, mais aussi en évitant les erreurs médicales. Dans les pays en développement, elle peut réduire le taux de mortalité lié aux causes évitables (par exemple, 1,6 million de personnes sont décédées des suites d’une pathologie liée à la diarrhée en 2017) et compenser le manque de 4,3 millions de médecins dans le monde en facilitant l’établissement de diagnostics à distance. Je pense notamment à l’application Tissue Analytics, capable de diagnostiquer en un clin d’œil des blessures chroniques, des brûlures ou encore des pathologies dermatologiques à l’aide d’une simple photo prise avec votre smartphone.
Comment l’automatisation intelligente peut-elle permettre de réaliser des économies et à quelle échelle ?
En outre, l’automatisation intelligente permettrait d’économiser près de 10 billions de dollars chaque année en réduisant le nombre de fraudes, d’erreurs et d’incidents. En effet, l’IA ne renforce pas uniquement l’efficacité et la fiabilité des transactions, mais elle génère également des relevés pour chaque action réalisée, facilitant ainsi la transparence et les processus de conformité. Tout cet argent économisé pourrait nous permettre de doubler le budget mondial consacré à l’éducation. Nous pourrions aussi réinjecter ces montants dans la lutte contre la pollution ou même éradiquer la faim dans le monde !
Votre ouvrage intitulé « Automatisation intelligente », que vous avez coécrit avec Ian Barkin et Jochen Wirtz, vient de paraître. Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Tout d’abord, je voulais partager ma passion. Ma conviction que l’automatisation intelligente peut rendre notre monde plus humain. Mais je pense également que cette publication était nécessaire parce qu’informer et instruire la population relève d’un besoin. Enfin, si l’on trouve déjà de nombreux ouvrages consacrés à l’intelligence artificielle, à l’apprentissage automatique ou à la robotique, il n’existait encore aucun référentiel complet concernant l’automatisation intelligente. Il nous a donc semblé essentiel de documenter de manière objective les dernières connaissances relatives à ce domaine dans un premier ouvrage de référence.
Pascal Bornet interviendra au Reboot Work Festival